Après deux semaines passées en famille à Paris, je suis rentré l'espace de quelques heures à Londres avant de repartir illico pour l'Irlande, et plus précisément pour Dublin. On va dire que comme raconter ma vie parisienne n'est pas l'objectif principal de ce blog, je passe directement à mon séjour irlandais.
"Dublin express", donc. Pourquoi ? Bah, pour tout plein de raisons, toutes aussi mauvaises les unes que les autres, certaines plus explicites que d'autres. La première, c'est qu'on y est quand même vraiment rapidement. En prenant depuis la gare de Saint Pancras un train vers Luton Airport, puis le vol Ryanair de Luton vers Dublin Airport, puis le bus 16A de Dublin Airport vers le centre-ville, vous en avez pour à peu près une heure par trajet. Certes, le voyage ne dure pas 3 heures, plutôt le double en fait, mais c'est déjà pas mal. Dans ledit bus 16A, qui m'a déposé à approximativement 75cm de mon auberge de jeunesse, j'écoute le dernier Panique au Mangin Palace (émission dominicale de France Inter, pour ceux qui ne connaissent pas), qui s'intitule "Tu es Flambeur". Je ne sais pas s'il faut voir là une tentative d'exorciser mes pulsions dépensières, mais je sais en tout cas que pendant ces quatre jours je ne vais pas à proprement parler "flamber". Le budget attribué au voyage est limité, même s'il ne se limite pas à un euro par jour, assorti du squat chez des gens plus pauvres que soi, comme dans une émission de télé française récente dont j'ai perdu le nom.
Aungier Street, qui mène à mon auberge de jeunesse, au crépuscule
Bref, je débarque dans mon auberge de jeunesse, "The Avalon House", mardi dernier sur le coup de 19 heures. Mon lit est réservé pour 2 nuits dans cet 'hostel', pour ma 3ème nuit sur place il n'y avait plus de lit disponible dans la même auberge donc j'avais réservé ailleurs. Je débarque donc dans Dublin à la nuit tombante, et après avoir posé mes affaires dans ma chambre, je pars pour une première balade d'exploration nocturne dans Dublin – ça, c'est la version romancée. La version authentique, c'est : "je pars en quête d'un dîner". D'ailleurs je finis vers 21h30 dans un Mac Donald's, pour vous situer le niveau de poésie de la balade nocturne. Après un tour sur les quais du grand canal de la capitale, je rentre en fait assez rapidement me coucher, dans l'attente de découvrir ceux avec qui je vais partager la dortoir. Ayant réservé mon lit assez tardivement, et via un site Internet spécialisé, j'ai trouvé des places dans des chambres de 4 à 10€ la nuit, contre 17€ la nuit dans un dortoir de 12 (prix plancher officiel du hostel). Au niveau prix, je m'en sors donc (très) bien.
Photo nocturne un peu ratée d'un des ponts de Dublin sur le grand canal, illuminée d'une jolie couleur verte. Je vous promets : en vrai, ça rend pas mal.
Mais au niveau colocataires provisoires, je m'en sors peut-être un peu moins bien. La seule co-occupante de ma chambre pour la première nuit est une Finlandaise au nom aussi imprononçable qu'impossible à mémoriser. Une forme de conversation s'établit, qui tourne comme souvent autour du pays d'origine, des études, du contexte du voyage. Seulement, la conversation tourne rapidement au monologue interminable – un peu comme dans ce blog, en fait. Disons qu'à l'oral, ça devient vite trop dur à suivre. La Finlandaise ne se démonte pas, et me raconte sa vie en me laissant à peine le temps d'acquiescer de temps à autre. Elle a une tactique redoutable pour faire vivre son flot de paroles ininterrompu : combler chaque semblant d'hésitation par, soit "like", soit "sort of". Ça donne des phrases du genre : "I, sort-of, chose this hostel, like, because I wanted, like, a place, like, that was, sort-of, like, a nice place, like, in the heart of the city." Elle avait sans doute pris ce tic de langage par mimétisme des jeunes anglophones, anglais comme américains, qui ont eux aussi tendance à caser un "like" comme on peut caser un "euh" en français, c'est à dire à peu près n'importe où. Peu à peu, la conversation s'arrête, on se souhaite bonne nuit, et on dort. Ouf.
The Avalon House
Mercredi, première journée sur place. Breakfast fourni par l'auberge et compris dans le prix. Comme je suis seul à visiter Dublin, je peux faire ce que je veux de mon temps, mais en même temps je sais que je risque de passer mes journées à ne rien faire. Pour éviter ça, je me prépare une forme de programme. Mercredi, donc, je me mets en route vers 11h pour le quartier médiéval de Dublin, dans la perspective de me faire une petite séance nostalgie. En effet, certains d'entre vous s'en souviennent, j'étais déjà venu en touriste à Dublin : c'était il y a 6 ans, en classe de 4ème, pour une journée dans la capitale dans le cadre d'un voyage de classe en Irlande. Je suis donc assailli de souvenirs en passant devant les décors où j'ai dans ma chambre de superbes photos de moi et d'un ami enchaîné par les jambes à un pilori en bois, et autres subtilités historiques, disponibles pour les touristes assoiffés de photos, à la sortie d'un musée-reconstitution sur le Moyen-Âge en Irlande, "Dublinia".
Les piloris de Dublinia
Plus tard dans la matinée, je repasse sans y rentrer devant le centre industriel de Dublin : la "Guinness Storehouse", où est produite et entreposée la célèbre bière noire. N'ayant pas vraiment envie de payer les 10€ d'entrée dans le musée incorporé à l'usine, je me contente de me souvenir de mon passage, du temps pas si lointain où j'avais encore 14 ans, et où j'étais guidé en compagnie de mes camarades de l'autre côté du très fameux St James' Gate. À l'issue de mon voyage à Edimbourg, j'avais affirmé que jamais je n'avais vu une identité aussi souvent affirmée à travers son drapeau dans une ville. À Dublin, il y a bien de nombreux drapeaux tricolores vert-blanc-orange, les couleurs de l'Eire, mais le signe le plus visible dans la ville est bien la harpe jaune sur fond noir, flanquée du mot "Guinness", que l'on trouve absolument partout.
Au carrefour de St James' Gate, c'est bien connu : tous les chemins mènent à la Guinness.
Autre question d'identité assez surprenante : partout, le gaélique irlandais précède l'anglais, que ce soit sur les panneaux routiers, le plaques des bâtiments publics, bref, tout ce qui suppose une intervention de la République d'Irlande se fait d'abord en gaélique. L'anglais, c'est par nécessité pratique. Dans la pratique, personne ne parle gaélique à Dublin. L'usage, toujours écrit, de cette langue étrange semble être faite pour impressionner les touristes, et surtout pour montrer au meilleur ennemi anglais qu'on est plus le prolongement naturel du royaume de la Couronne. En fait, ce qui semble être la seconde langue officieuse en Irlande, ce serait plutôt le français. Dans le centre-ville touristique, un passant sur dix est francophone. Dans mon auberge de jeunesse, on atteint des proportions de l'ordre de un sur trois, ou un sur quatre. Cela dit, c'est marrant quand même le gaélique. Tenez : "Ná gabh ar na faichí, led' thoil". Je viens de vous ordonner de ne pas marcher sur la pelouse. C'est pas beau, ça ? Me demandez pas comment ça se prononce, par contre.
Ce qui est cool à Dublin, c'est que quand vous ne comprenez pas les inscriptions en gaélique, on vous met la traduction en-dessous, et tout de suite on comprend mieux.
Après un déjeuner préparé et pris dans la cuisine collective de l'auberge, je repars pour une fin d'après-midi du côté de l'université célèbre de Trinity College Dublin (TCD), pour découvrir dans quel cadre travaillent mes camarades dublinois en échange Erasmus. En fait, Trinity College, c'est presque autant Disneyland que la Sorbonne, du moins au niveau de la population. Moitié touristes, moitié étudiants. Pour vous situer le niveau, la première chose que vous voyez sur la façade principale de TCD, à côté de la gigantesque porte d'entrée, c'est un panneau "Interdit aux chiens". Trinity College, vu de l'extérieur, ça ressemble furieusement à un grand jardin public. Cela dit, la population étudiante compense très bien la grande diversité des touristes : des jeunes gens et de jeunes filles très propres sur eux. Filles toutes blondes, la plupart artificiellement. Côté filles, le jean ne se porte que s'il est accompagnée d'une belle ceinture bien brillante. Côté garçons, polo Ralph Lauren très en vogue. D'un côté comme de l'autre, les lunettes de soleil très larges, pour protéger les yeux – tous clairs – d'un soleil, il est vrai, radieux. Comme le dit si bien Philippe Colin, Trinity College, c'est la méga classe. À l'intérieur de l'enceinte de l'université, un groupe français en voyage de classe – je ne savais que l'on faisait à ce point troupeau – passe devant moi. Une fille ferme la marche ; Rayban-blouson de cuir-jean slim. Elle exprime à elle seule la motivation palpable du groupe à l'idée de visiter la TCD Library, en lançant à sa copine : "Alors là, tu vois, je sens que la visite, elle va se terminer allongés dans l'herbe". Encore une qui sait pas lire le gaélique...
Les pelouses des cours intérieures à Trinity College Dublin.
Le soir, en rentrant pour ma deuxième nuit à l'auberge de jeunesse, je complète mes activités de la journée par de la sociabilisation. D'abord, au dîner, en rencontrant un très sympathique couple franco-irlandais, vivant au Pays Basque espagnol, et qui sont précisément les accompagnateurs d'un groupe de jeunes de Basques, la quinzaine environ. Après leur parcours du marathon qui consiste à nourrir la vingtaine d'ados, nous entamons la discussion. Je leur explique ma situation, et ils m'expliquent qu'ils ont un lit disponible dans leur dortoir, qu'ils avaient réservé et pour lequel ils avaient déjà payé, mais qui est inoccupé en ce moment. Une des jeunes est en effet restée au dernier moment en Espagne, et l'auberge refuse toute forme de remboursement. Ils me proposent donc de prendre ce lit pour ma 3ème nuit à Dublin, plutôt que de changer d'auberge. Je leur fais une proposition de prix – équivalent à mon autre auberge –, qu'ils acceptent. Nous en parlons aux responsables de la Avalon House, qui ne voient aucun inconvénient à cette sous-location. J'envoie donc rapidement un mail à l'autre auberge pour annuler ma réservation, puis monte dans ma chambre me coucher. Là, je tombe sur un nouvel occupant de la chambre, un Américain de 18 ans, du genre gentil 'teenage punk', en grande "discussion" avec la Finlandaise. Je ne souhaite pas outre mesure m'inclure au débat, donc je me contente de faire des statistiques sur mon lit : 27 utilisations du mot "like" en une minute de prise de parole pour la Finlandaise, soit presque un toutes les deux secondes. Mes impressions sont confirmées. L'échantillon choisi me semble malheureusement représentatif. Plus tard, une fois notre amie scandinave sortie, je discute religion avec le jeune Américain, qui s'avère être un missionnaire du Christ en voyage en Europe, dans un groupe de jeunes. Pas mal de "like" et de "sort of" aussi, mais au moins, il est capable d'écouter, lui. Et pour de vrai, en plus.
Ces deux co-occupants à part, je garde une impression générale assez étrange de mon auberge de jeunesse. Tout est très propre, très lisse, très net. On vient des quatre coins du monde, toujours en avion. Au petit-déjeuner, on prend ses tartines avec des gens dont l'on s'émerveille en s'apercevant qu'il s'agit de compatriotes. Tout marche toujours comme sur des roulettes. Je suis scié devant l'ouvre-boîte électrique (electrical tin opener) de la cuisine commune, appareil dont je ne pensais qu'il n'existait que dans Trainspotting comme archétype des gadgets de la société de consommation. Dans le hall d'accueil, 4 ordinateurs avec accès à Internet gratuit ; premier arrivé, premier servi. Attendant derrière les postes que l'un d'entre eux se libèrent, j'observe celui qui fait le plus "type auberge de jeunesse", c'est à dire quand même, au départ, ce qu'on appelle un 'backpacker'. Le jeune Australien, beau gosse, mal rasé, collier en dent de requin, vêtements savamment négligés, remplit tous les critères. Des signes distinctifs des nombreux pays du monde qu'il a visités sont brodés à son sac à dos élimé. Seulement, il navigue sur Facebook. Il y restera au moins quarante minutes, le temps pour moi d'attendre et d'écrire trois mails. Bizarre impression que me fait ce 'loner' populaire. Le mythe du backpacker repose sur l'adaptibilité, la débrouille, l'originalité, la liberté, aussi, à travers la quasi absence d'attache au reste du monde. Celui-là effrite un peu le mythe, à entretenir, et contempler, sa complexe et internationale sociabilité. Celui-là dira un jour : "moi, j'ai voyagé, j'ai vécu". Peut-être que le concept de voyage aussi.
On savait que les Normands avait conquis l'Angleterre, mais on nous avait caché que les Bretons avaient envahi l'Irlande. D'où la rivalité anglo-irlandaise. CQFD.
Plus dans l'idée que je me fais du backpacker, débarque ce soir-là également un trio anglo-canadien, qui vient s'installer à la même table que moi dans le 'living room' de l'auberge. Ceux là ont payé leur lit pour la nuit par un engagement à se produire dans la salle commune de l'auberge. Une guitare en bandoulière pour les trois, un harmonica sur les lèvres pour l'un d'entre eux, et des cordes vocales en bon état. Ils chantent et jouent juste, sont dynamiques et sobres, je pose le livre qui était entre mes mains pour les écouter. Autour d'eux, la salle est pleine, et les gens sont tout simplement indifférents. Quand le trio termine une chanson, pas un seul ne se manifeste par des applaudissements, même brefs. Ils ont presque l'air agacés que l'on vienne troubler leur paisible navigation sur Internet depuis l'ordinateur portable qu'ils ont apporté avec eux, et qu'ils rangent la nuit dans les 'safe deposit boxes', des coffres à codes spécialement prévus à cet effet. Le leader canadien du trio, pas dupe, fait mine de lancer, à voix basse, des remerciements éperdus : "Thank you, thank you ! What a tremendous atmosphere !". Finalement, pendant le dernier morceau du trio, qui s'éclate quand même à jouer ensemble, deux jeunes arrivent dans la salle commune. Eux se montrent enthousiastes, applaudissent chaleureusement à la fin de la prestation. Il s'avère que les deux jeunes sont eux aussi canadiens, ils font donc rapidement connaissance avec le trio, puis l'un des deux demande s'il peut emprunter une guitare. Quelques accords, et notre ami se prend déjà pour une rock star, chantant à tue-tête, à grand renfort de mimiques et de mouvements divers. Les gens lèvent la tête, on vient même l'entourer, et, une fois sa "performance" terminée, le féliciter. Applause. Le contraste par rapport au trio qui l'a précédé est violent. Comme on dit sur TF1, à la Star Ac' : "le meilleur gagnera". Hum. "Ça se discute", répondrait France 2.
Cette soirée aura été le point fort du voyage, en tout cas, le moment que je tiens pour le plus représentatif. S'ensuivirent deux journées de visites de musées divers – je recommande chaleureusement le National Museum of Ireland –, entrecoupées de balades dans les parcs et dans les rues. J'ai passé ma dernière soirée à Dublin dans un pub, à boire de la Guinness, avec le couple franco-irlandais qui n'a finalement pas accepté la somme que nous avions fixé, m'offrant le lit pour une nuit en faisant valoir que cela ne leur coûtait rien, et qu'ils avaient été étudiants avant moi. En (maigre) contrepartie, je leur ai offert une pinte noire ce soir-là. Après avoir profité des rayons de soleil des parcs géorgiens, mais aussi de la grisaille matinale du Phoenix Park, j'attrape un bus qui m'emmène à l'aéroport, pour mon retour vers Londres.
Notre avion ayant du retard, j'ai l'occasion de sympathiser avec un ... backpacker australien. Le même, en nettement moins classe, et sans la dent de requin. Seulement, celui-là est parti de Melbourne pour le Vietnam il y a un peu plus d'un an, puis, après un court séjour en France, a débarqué en Irlande, où il a bossé comme serveur dans des pubs de petites villes multiples, passant de collocation en collocation. Dans son sac à dos : une demi-douzaine de T-shirts, un pantalon de rechange, une deuxième paire de chaussures. Il partait en Turquie, à Istanbul, pour participer à un rassemblement annuel australo-néozélandais. Je ne lui ai pas posé la question, mais j'ai comme l'intuition que celui-ci n'avait ni compte Facebook, ni ordinateur portable dernier cri. Là encore, j'ai un peu l'impression que celui qui est identifié comme le backpacker sera le beau gosse de l'auberge, et pas l'anonyme de l'aéroport. Allez savoir, peut-être y aurait-il là l'ombre d'une contradiction.
Fin des impressions d'un simple déplacé sur ce qu'il pense des vrais voyageurs. Des pensées souvent tièdes, parfois fades, et toujours réchauffées. Mais c'est le grand miracle d'Internet : passez tout-ça dans le micro-onde de votre ordinateur, et c'est prêt à alimenter votre blog. Sachons vivre avec notre temps. Vraiment, on n'arrête pas le progrès.
Allez atchao, bonne semaine !
2 commentaires:
Souvenirs souvenirs en effet!
C'était qui l'ami avec toi sur les piloris, Clément, Bruno?? Je me rapppelle surtout de photos d'Irina et Cloth pour mon cas... Quand je pense qu'on a visité Dublin à un age où on avait même pas le droit de boire de la Guinness, c'est insensé!
Sinon je tiens quand même à préciser deux choses: la première c'est que j'ai quand même revisité le Guinness Storehouse lorsque je suis retourné à Dublin il y a genre trois ans. La seconde, et après j'arrête sinon tout le monde va me prendre pour le gros alcolo du groupe (si c'est pas déjà fait bien que ce soit absolument faux...), c'est que j'ai fait mon très sérieux oral final en anglais à HEC sur... devinez quoi, et oui sur la guinness :)
Bon allez yo comme on dit chez nous! Vivement qu'on se revoie à Paris!
oui, les photos d'Irina et moi en robes médiévales, ça vaut le coup... Pour les piloris il me semble que j'étais avec Stéphanie!
lol bref ça fait remonter plein de bons souvenirs tout ça... le car avec Hélène Ségara, la viande cuite dans la terre avec l'ail sauvage, et nos têtes de ouf sur les photos... on était bien jeunes et bêtes à l'époque!
Enregistrer un commentaire